Russia


Titre : Russia
Auteur : Valérie
Spoiler : aucun. Post-requiem.
Résumé : Mulder a été enlevé et retrouvé plusieurs mois après en Russie.

Tara Zarnisky se détendait dans le wagon de première classe qui la ramenait à Moscou. Une fois par mois, elle s’octroyait le luxe d’un retour à la civilisation, laissant derrière les démons qui dévoraient son quotidien. Elle savourait par avance le confort de sa suite au Hilton, le bonheur simple d’un bain chaud, le plaisir de voir des visages souriants et d’entendre des conversations sensées.

Elle travaillait depuis deux ans comme responsable au Centre d’Internement Psychiatrique situé à Ivanovo, à trois heures de train de sa ville natale. La paye était meilleure que dans la plupart des asiles du pays, les conditions de travail difficiles mais passionnantes. Elle avait pour la soutenir une équipe qu’elle avait choisi, en qui elle avait confiance. Elle donnait le meilleur d’elle même pour les patients qu’on lui confiait, des cas difficiles et pour lesquels elle avait mis au point une méthode innovante dans un pays où la folie était malheureusement traitée avec le plus grand mépris.

Elle avait du se battre pour obtenir un budget décent, et malgré tout le bâtiment qu’elle avait réquisitionné manquait cruellement d’équipements adaptés. Les patients étaient entassés par dix dans les dortoirs et les installations sanitaires étaient à la limite de l’insalubrité. Mais ils recevaient en contre partie les meilleurs soins du pays.

Le train arriva à la gare centrale de Moscou et elle héla un taxi qui la déposa bientôt devant le hall luxueux du Hilton. Elle sourit à la réceptionniste qui lui tendit sa clé et monta rapidement dans sa chambre. C’était son moment à elle, son oasis, la trêve qui lui donnait la force de continuer.

Deux heures plus tard, elle descendait dans le salon où se mêlaient hommes d’affaire, touristes et call girls de luxe à la recherche du client fortuné qui ferait leur bonheur. Elle se laissa glisser dans le canapé profond et se plongea dans la lecture du Washington Post, qui s’offrait à la disposition des visiteurs étrangers. Elle lisait mal l’anglais, ne le parlait qu’à peine, mais s’efforçait malgré tout d’apprendre la langue internationale qui lui ouvrirait peut être un jour les portes d’une université américaine.
Son regard s’attarda sur un encart, flanqué d’une photographie en noir et blanc. “ AVEZ VOUS CET HOMME ? “. Le texte court était suivi d’un numéro de téléphone imprimé en caractères gras. Elle regarda avec attention le visage de l’homme de la photographie. Ses traits lui semblaient familiers, et elle chercha dans sa mémoire où elle aurait pu le rencontrer, sans succès. Elle continua sa lecture, puis retourna à la page de l’homme à la photo. Ses sourcils se froncèrent et elle déchira discrètement le document pour le mettre dans son sac. Elle connaissait cet homme.

Quelques heures plus tard, après un dîner rapide, elle s’allongea sur le lit de sa chambre d’hôtel. Le visage de l’homme continuait de la hanter. Soudain elle se leva et ressortit la photographie. Elle ferma les yeux et la mémoire lui revint subitement. Elle se précipita sur le téléphone.

*************

Dana Scully et Walter Skinner détachèrent leurs ceintures et prirent leurs bagages à main dans les casiers de l’appareil qui les avaient mené à Moscou. Ils étaient fatigués par le voyage mais ni l’un ni l’autre n’avaient pu dormir pendant les longues heures de vol. Ils n’avaient d’ailleurs pas fermé l’oeil depuis qu’ils avaient reçu cet étrange coup de téléphone. Une psychiatre russe, Tara Zarnisky, les avaient appelé quelques jours plus tôt, leur soutenant que l’homme qu’ils recherchaient depuis des mois était interné dans son établissement. Ils avaient demandé des précisions, n’obtenant qu’avec peine des renseignements, mais tout leur avait laissé croire que Mulder était bien l’homme dont la jeune femme parlait. Le fait que Skinner parle le russe avait grandement facilité leurs échanges et les précisions qu’elle avait donné les avaient conduits à prendre le premier vol pour Moscou.

Ils échangèrent un regard confiant en descendant de l’avion. Ils récupérèrent leurs bagages rapidement et se dirigèrent vers la station de taxi. Ils avaient convenu d’un rendez vous et le docteur Zarnisky les attendait au Hilton.

Scully essayait de se convaincre que ce long voyage serait la fin de sa quête incessante pour Mulder. Elle le cherchait désespérément depuis huit mois. Huit mois où elle avait fait la cruelle expérience de l’absence, huit mois de doutes et de souffrance, huit mois de larmes. Elle avait perdu l’enfant qu’elle portait quelques semaines seulement après l’annonce incroyable de sa grossesse. Elle avait sombré dans le désespoir et c’est seulement grâce au soutien de sa famille, de Walter et les Lone Gunmen qu’elle avait réussi à surmonter cette nouvelle épreuve. Elle avait repris le combat pour retrouver l’homme qu’elle aimait.

Walter Skinner s’était révélé sous un nouveau jour. Il était là quand elle avait besoin de parler, d’exprimer sa colère et sa frustration. Il se sentait coupable pour la disparition de Mulder et lui avait apporté toute l’aide dont elle avait besoin pour ses recherches. Et aujourd’hui encore, il était là, près d’elle, espérant tout autant que la jeune femme que le cauchemar se terminerait bientôt.

Les salons du Hilton étaient pratiquement vides à cette heure matinale et ils s’annoncèrent à la réception où le personnel parlait un anglais imparfait. On leur indiqua un salon privé et ils entrèrent, le coeur battant. Tara Zarnisky s’avança vers eux en souriant. Elle les avait reconnu grâce aux photos qu’elle avait reçu par fax deux jours auparavant. L’interprète qu’elle avait requis la suivit et ils firent les présentations. Une heure plus tard, ils étaient dans le train en direction d’Ivanovo.

*************

Le regard de Scully était perdu dans les paysages qu’ils traversaient depuis deux heures. Les mots de l’interprète la hantaient. Tara avait parlé de catatonie, d’automutilation, de mutisme. Elle avait peur de ce qu’elle allait découvrir en arrivant au Centre d’Internement Psychiatrique, peur que Mulder ne soit que l’ombre de lui même, un fantôme surgi du passé, loin de l’homme passionné et brillant qu’elle avait appris à aimer durant toutes ces années.

Une voiture les attendait à la gare et ils s’engouffrèrent dans le véhicule, réprimant les frissons qui n’avaient rien à voir avec la température glaciale de l’hiver russe.

Le bâtiment se profila à l’horizon quelques dizaines de minutes plus tard, gris et sinistre. Tara les escorta jusqu’à son bureau où ils déposèrent leurs affaires, puis elle les conduisit auprès de l’homme qu’elle avait surnommé “mystère”.

Les couloirs résonnaient de cris sourds, de gémissements et de plaintes sinistres. Elle leur expliqua qu’elle avait du isoler son patient mystère des autres malades, et qu’il était confiné dans l’une des trop rares cellules particulières, à la suite de trop nombreuses altercations dont il avait été la victime.

Devant une porte grise, elle se retourna vers Scully et Skinner et leur sourit gravement.

- Votre ami est le plus souvent dans un état catatonique. Il n’essaye pas de communiquer, même avec des gestes. Il refuse la plupart du temps sa nourriture et j’ai du prendre plusieurs fois la décision de le nourrir par sonde gastrique pour éviter la dégradation de son état général. Les épisodes d’automutilation d’ailleurs ont été consécutifs aux intubations. J’ai fait de mon mieux pour l’isoler des autres patients agressifs. D’autre part, il semble terrifié par les sangles de contention dont nous nous servons pour éviter qu’il ne se blesse. J’espère de tout coeur qu’il est celui que vous cherchez.

Elle ouvrit la lourde porte cadenassée et entra doucement dans la pièce. Scully ferma les yeux un instant, une prière aux lèvres et la suivit de quelques pas.

Tara s’agenouilla vers la forme recroquevillée dans un angle de la pièce. Une masse de cheveux sombres dépassait de vêtements trop grands. L’homme se balançait d’avant en arrière, doucement, de façon continue, avant que l’intrusion soudaine d’une présence étrangère n’interrompe son mouvement. Il se raidit soudain lorsque Tara posa une main rassurante sur son épaule. Sa voix slave, douce et grave à la fois, prononça des paroles que Scully et Skinner ne comprirent pas. Elle caressa ses cheveux, et il sembla se détendre un peu, pour enfin accepter de lever son regard vers les étrangers.

Scully étouffa un sanglot. Le visage dont elle avait tant rêvé se tourna vers elle, et les yeux vides de Mulder se posèrent sur elle. Elle s’approcha doucement de lui, alors que Tara reculait de quelques pas. Une odeur âcre d’urine et de sueur se dégageait de lui. Ses cheveux étaient sales et emmêlés, la veste de coton gris flottait autour de son corps amaigri. Scully leva sa main vers son visage, presque effrayée par le contact imminent, puis ses doigts fins se posèrent sur ses joues couvertes d’une barbe de plusieurs jours. Il se laissa faire, hypnotisé par les yeux bleus de la jeune femme et ses yeux se remplirent soudain de larmes. Il ferma ses paupières, et sa voix rauque, trop longtemps inutilisée, déformée par l’émotion, prononça son nom.

Skinner, à l’entrée de la pièce, retenait son souffle. Il avait à peine reconnu Mulder dans cet homme maigre et pale, aux joues creuses. Il le revoyait huit mois auparavant, si vivant, si exalté à l’idée de découvrir la vérité. Il revoyait ses yeux brillants d’impatience, son humour vif et cassant pendant la conservation qu’ils avaient eu dans l’avion qui les menait en Oregon, loin de cet homme brisé, de ce fantôme pale.

- Scully...

- Je suis là, Mulder. Je suis là. C’est fini. Nous allons te sortir de là.

**************

Ils étaient tous réunis dans le petit bureau de Tara. Mulder avait pris une douche et on lui avait remis des vêtements décents. Il était assis sur l’une des chaises, le visage fermé, les yeux englués au sol. Les mots échangés entre Tara et Scully lui parvenaient, lointains, à travers le brouillard de son esprit. Sa tête le faisait souffrir, son corps était lourd et il s’enfonça doucement dans une torpeur bienfaisante.

La voix douce de Scully le fit revenir à la réalité.

- Mulder ? Es tu prêt à nous suivre ?

Il la regarda longuement et finit par hocher la tête, sans un mot. Skinner l’aida à se redresser et ils se dirigèrent vers la porte de sortie. Tara les retint un moment encore et le prit par les épaules, l’obligeant à la regarder droit dans les yeux. Un frisson le parcourut et il écouta ce qui lui traduisait l’interprète.

- Promettez moi d’aller mieux. Vous pouvez le faire. J’ai confiance en vous.

Il ne répondit pas et se laissa conduire par Skinner vers le véhicule qui les attendait. Il frissonna et se blottit sur le siège arrière de la voiture, entre Scully et la portière, regardant sans vraiment les voir les paysages qui défilaient devant lui.

Il ne prononça pas une parole dans le train qui les ramena à Moscou. Scully et Skinner échangèrent des regards lourds d’inquiétude. Ils arrivèrent enfin à la gare, épuisés par la tension nerveuse, et rapidement un taxi les conduisit à l’hôtel. Mulder les suivait comme un automate, le regard baisé, avec la démarche hésitante d’un homme trop longtemps confiné. Il sursautait à chaque bruit, et ses yeux trahissaient une angoisse que Scully essayait de déchiffrer. Ils choisirent deux chambres communicantes et commandèrent un repas léger.

Mulder s’était assis sur le lit, silencieux, le visage inexpressif. Scully s’agenouilla près de lui et lui murmura des mots de réconfort.

- Mulder... Je ne sais pas ce que tu as enduré, mais je suis persuadée que tu auras la force de te retrouver... Prends le temps qu’il te faut, mais reviens moi, je t’en prie... Tu m’as tellement manqué...

Il était incapable de prononcer la moindre parole. Sa gorge était si serrée qu’il lui était difficile de respirer. Il se plongea dans les yeux bleus de Scully , ferma les yeux et sentit les larmes qui coulaient sur son visage. Elle le prit doucement dans ses bras et le berça doucement, jusqu’à ce que le sommeil l’emporte.

Scully le sentit s’endormir contre son épaule et l’allongea doucement sur le lit. Son visage était marqué par les épreuves, de fines rides encerclaient ses paupières gonflées par les larmes. Elle caressa ses cheveux tendrement et l’allongea près de lui. Elle était trop stressée pour dormir, mais les évènements de ces dernières heures l’avaient épuisés. Elle se lova contre son corps endormi et ses paupières se fermèrent malgré elle.

***************

Un bruit soudain la réveilla en sursaut. Elle était seule dans le lit et se leva en entendant un bruit de verre brisé. Un fin rayon de lumière filtrait de la porte de la salle de bains. Elle frappa à la porte doucement et tenta de l’ouvrir, sans résultat. Elle frappa plus fort.

- Mulder ? Tu es là ? Mulder ouvre la porte je t’en prie.

Elle n’entendit que des sanglots étouffés et se précipita vers la porte communicante de la chambre où dormait Skinner. Elle le réveilla rapidement et lui expliqua la situation. Ils se dirigèrent à nouveau vers la salle de bains et Skinner tenta de raisonner Mulder. Après plusieurs minutes, il enfonça la porte d’un coup d’épaule.

Mulder était accroupi par terre, nu, dans un coin de la petite pièce. Le sol était jonché de morceaux de miroir brisé. Il sanglotait doucement, le visage caché entre ses bras, ses épaules secouées de soubresauts. Skinner s’agenouilla près de lui et posa une main rassurante sur sa nuque.

- Mulder...

- Ne me touchez pas ...

- Mulder, nous sommes là pour vous aider... Je ne vous veux aucun mal.

- Je veux rester seul.

- Vous n’êtes pas en état de rester seul, Mulder. Je vous en prie. Venez.

Il le prit doucement par le coude et tenta de le faire se lever. Mulder résista faiblement et ses sanglots s’intensifièrent. Scully remarqua alors les traces de sang qui couvraient ses avants bras et ses cuisses, de fines lignes sanglantes. Elle se précipita sur lui.

- Mulder...

Il la regarda avec des yeux perdus et accepta enfin de se lever. Ils le dirigèrent lentement vers le lit et Scully sortit immédiatement de ses affaires de quoi nettoyer ses blessures. Il se laissa faire, les yeux clos, sa poitrine se soulevant convulsivement alors que ses sanglots se calmaient.

Sans ouvrir les yeux, il murmura d’une voix brisée par la fatigue et l’émotion.

- Je veux rentrer à la maison.

************

Appartement de Dana Scully. Trente six heures plus tard.

Ils étaient arrivés de l’aéroport quelques heures auparavant. Skinner les avaient déposé chez elle, insistant pour rester près d’eux mais la jeune femme l’avait invité à rejoindre son propre appartement. Mulder s’était effondré sur le lit, sans un mot, et s’était endormi instantanément. Elle avait eu tout le loisir de l’observer pendant le long voyage de retour. Il n’avait pratiquement pas parlé, à peine touché à la nourriture qu’on lui avait proposé. Ses yeux étaient vides et lointains, perdus dans des souvenirs auxquels elle n’avait pas accès.

Avant de partir elle avait fait traduire le rapport médical complet de son partenaire. Elle avait découvert qu’on l’avait trouvé deux mois plus tôt non loin de Moscou, inconscient, hypothermique et couvert d’hématomes. Il avait été amené à l’hôpital le plus proche où on avait pris soin de lui quelques jours, pour ensuite le diriger vers un établissement psychiatrique compte tenu de son état mental.

Deux mois. Il s’était donc volatilisé six mois, six mois pendant lesquels personne ne savait ce qu’il était devenu. Elle n’avait pas essayé de le questionner, son état était trop fragile pour le moment. Elle le sentait prêt à se refermer sur lui même, prêt à fuir les questions. Elle avait peur pour lui, peur des réponses qu’il pourrait ou ne pourrait pas fournir. Elle voulait le faire hospitaliser au plus vite afin que des examens soient réalisés, pour vérifier son état de santé, pour vérifier qu’il n’avait pas d’implant. Skinner soutenait la thèse de l’enlèvement extra-terrestre. Elle ne savait quoi penser.

Elle l’examina alors qu’il dormait. Il respirait doucement, les lèvres à demi ouvertes, ses yeux roulant sous ses paupières fermées. A quoi pouvait-il rêver ? Quel cauchemar revivait-il ? Elle se souvint des cicatrices qu’il portait un peu partout sur le corps, certaines récentes, d’autres paraissant plus anciennes. Il était si maigre... Elle ne l’avait jamais vu ainsi. Elle se sentait frustrée de ne pas pouvoir partager ses angoisses. Elle avait tant à lui dire...

Elle se réveilla tôt et le trouva debout, près de la fenêtre. Son regard était perdu et vague.

- Mulder ?

Il se tourna vers elle et hocha la tête.

- Scully... Je ne sais plus où j’en suis...

Elle lui sourit et posa une main sur son épaule. Elle sentit qu’il se dérobait à son geste et n’insista pas. Il la regarda avec des yeux graves, mais plus vivants que tous les regards qu’ils avaient pu échanger jusque là.

- Je voudrais rentrer chez moi, Scully.

Elle respira profondément. Comment lui expliquer qu’elle avait dû renoncer à louer son appartement, qu’elle avait fait transférer ses affaires et ses meubles dans un local que les Lone Gunmen lui avait prêté ? Elle ne savait même pas s’il était conscient qu’il avait disparu depuis tant de temps.

- Mulder... Tu n’as plus d’appartement. Six mois après ta disparition, nous avons du prendre des décisions. Mais tu es chez toi ici. Tes affaires sont en sécurité.

Il baissa les yeux et déglutit avec peine. Il commençait à comprendre.

- Combien de temps suis-je resté là bas ?

- Tu as été interné deux mois. Avant cela, nous n’avons aucune information. Tu te souviens de quelque chose ?

- Non... Je ne sais pas... Quand je ferme les yeux... des images me reviennent... mais... je ne veux pas... Je ne suis pas sûr de vouloir me souvenir.

- Mulder. Il faut que je t’emmène à l’hôpital. Tu dois passer des examens... Pour être sûr que tout va bien. Tu te sens capable d’affronter cela ?

Il se recula de quelques pas et encercla sa poitrine de ses bras. Elle le vit se mettre à trembler légèrement.

- Non... Pas d’hôpital. Je t’en prie Scully. Je t’en prie. Ne m’inflige pas ça...

- Personne ne fera de mal. Je te le promets.

- NOOOOOON !

Elle le vit se transformer soudainement en bête traquée. Il se recula dans un coin de la pièce et respirer rapidement et superficiellement.

- Mulder... Calme toi.

- Je ne peux pas... Tu ne sais pas ce que j’ai subi.... Tu ne sais pas...

- Non je ne sais et j’aimerai pouvoir t’aider... Je t’en prie, laisse moi t’aider.

- Personne ne peut m’aider...

Il se mit à sangloter doucement, épuisé par l’émotion et la fatigue. Elle se rapprocha de lui doucement mais il se recula, et s’écroula à genoux, le corps secoué de tremblements.

- Mulder...

- LAISSE MOI !

Effrayée par la violence de son ton, désemparée, elle s’éloigna de lui, réprimant les larmes qui emplissaient ses yeux. Jamais il ne l’avait repoussé ainsi.

- Je veuxresterseuljeveuxresterseul....

Il se balançait d’avant en arrière, les genoux repliés sous le menton, les bras encerclant ses épaules, les paupières crispées, le front couvert de sueur. Il semblait avoir basculé dans un autre monde, un monde de terreur dont elle n’avait pas la clé. Incapable de sortir de la pièce alors qu’il était dans cet état, elle s’assit doucement sur un coin du lit, laissa ses larmes rouler sur ses joues et attendit, jusqu’à ce que l’épuisement ne le terrasse et qu’il s’endorme enfin, recroquevillé sur lui même.

Alors seulement elle s’approcha de lui et couvrit ses épaules d’une couverture.

*************

Les jours suivants furent une succession de progrès infimes et de régression. Mulder passait la plupart du temps enfermé dans sa chambre, le regard perdu, ne laissant ni Scully ni Skinner prendre soin de lui. Il refusait la plupart du temps de manger, de se laver, de communiquer. Allongé sur son lit, recroquevillé en position foetale, il semblait revivre encore et encore le cauchemar qu’il avait vécu. Scully l’entendait pleurer fréquemment, impuissante et les rares fois où elle avait tenté de l’apaiser il l’avait repoussé violemment, pour s’excuser quelques minutes plus tard dans un sanglot.

***********

Assis dans la cuisine dans une tasse de café noir, Scully et Skinner, les yeux tirés, le visage sombre, discutaient en silence du comportement de Mulder. Ils étaient partagés entre le désir de lui donner un peu de temps pour se reprendre et l’inquiétude que son état leur inspirait, quand soudain la longue silhouette de Mulder se découpa dans l’entrebâillement de la porte. Leur conversation s’arrêta nette et ils le dévisagèrent.

Il n’avait pas quitté sa chambre depuis trois jours. Maigre, le visage déformé par la fatigue et les larmes, les cheveux emmêlés et sales, il tenait à peine sur ses jambes. Il s’approcha d’eux d’un pas lent et s’assit lourdement sur la première chaise qui se présenta à lui.

La voix douce de Scully le fit sursauter.

- Tu veux boire quelque chose ?

Il hocha simplement la tête.

Elle se leva et alla chercher une bouteille de boisson énergétique dont elle avait fait provision depuis son arrivée. C’était la seule chose qu’il avait avalé depuis son retour. Elle lui en servit un grand verre, qu’il avala péniblement, les yeux fermés.

Le silence était pesant dans la pièce. Mulder soupira profondément et ouvrit les yeux.

- Je... Je voulais m’excuser. Je sais que vous voulez m’aider... Je ne suis pas sûr que quelqu’un puisse m’aider...

- Tu vas avoir besoin de temps, Mulder... Et je pense que tu devrais essayer de parler de ce que tu as vécu... Si ce n’est pas à nous nous trouverons quelqu’un à qui tu puisses te confier.

- Non... C’est trop dur... Mon dieu si on me trouvait déjà fêlé avant cela, je n’ose même pas imaginé l’image que je dois donner aujourd’hui...

- Tu souffres d’un grave syndrome de stress post-traumatique, Mulder. Je n’apprends rien. La dépression dont tu sembles souffrir est une réaction tout à fait normale.

- Le tout est de savoir si je suis capable de me reprendre en mains, c’est cela ?

- Tu es un psychologue, Mulder. Tu connais les mécanismes de défense qui vont te permettre de reprendre le dessus. Tu as toujours été un survivant, Mulder. J’ai confiance en toi...

Les mains tremblantes, il tenta de se servir un nouveau verre. Scully et Skinner le virent péniblement essayer de calmer les soubresauts qui l’agitaient. A deux mains, il porta à ses lèvres le verre et le but avidement, puis le reposa sur la table. Il se leva et sortit de la pièce. Ils se suivirent dans le salon.

Il s’était posté devant la fenêtre, le regard perdu vers la rue sombre. Sa voix résonna, rauque et sourde.

- Quand j’ai repris connaissance à l’hôpital, j’ai compris que je n’étais plus prisonnier de mes ravisseurs. Mon corps me faisait mal, mon esprit fonctionnait au ralenti. Les médecins m’avaient administré des sédatifs, et je n’arrivais pas à m’exprimer. Ils ne me comprenaient pas de toute façon. J’ai eu... de violents flash-back. Je pense que c’est pour cela qu’ils m’ont transféré dans cet asile... Mon comportement était irrationnel, je bégayais quand j’essayais de me faire comprendre.

- Tu bégayais ?

Il eut un petit rire d’autodérision.

- Oui... Ca m’était déjà arrivé... Après l’enlèvement de Samantha, pendant plusieurs mois. J’ai cru que j’étais retourné en enfer... J’étais entouré de malades mentaux, de psychotiques profonds... Certains étaient violents... J’ai subi leurs violences... Oh mon dieu je ne veux pas revivre ça...

- Tu n’es pas obligé d’en parler, Mulder...

- LAISSE MOI PARLER !

Skinner esquissa le geste de se lever mais Scully l’incita à rester assis.

- Ils m’ont... vio... vio... violé dans les douches, sans que personne ne s’en préoccupe... Plu...plu..plusieurs fois...

Mulder respirait rapidement, en prise à une crise de panique puis essaya de reprendre le contrôle de son récit.

- Après cela, j’ai refusé de m’alimenter pendant plusieurs jours. Je n’avais plus le désir de vivre, de me battre... Ils m’ont nourri avec une sonde, ils m’ont attaché dans un lit... Oh mon dieu... C’était comme si je revivais les tortures qu’on m’avait fait subir... Je perdais la raison...

- Nous avons tout fait pour te retrouver, Mulder. Si tu savais...

- VOUS N’ÊTES PAS VENU ! VOUS N’ÊTES PAS VENU QUAND J’AVAIS BESOIN DE VOUS !!!

- Mulder, calme toi...

Tremblant, il posa son regard sur son poignet, couvert de fines cicatrices et d’un geste délibéré transperça la vitre de sa main nue. La fenêtre explosa sous l’effet du choc.

- MULDER ! NE BOUGE PAS !

Scully se leva d’un bond, mais avant qu’elle ne soit près de lui, il retira sa main à travers les morceaux de vitres brisées, et aussitôt une mare de sang apparue sur le sol à ses pieds.

Il vacilla et regarda sa main ensanglantée, avant de tomber au sol lourdement, les yeux crispés par la douleur.

- Walter ! Le 911, vite !

Scully se précipita sur le corps secoué de tremblements de Mulder et tenta d’arrêter l’hémorragie mais son poignet était criblé d’éclats de verre.

- Mulder... Oh mon dieu... pourquoi ?

- Pardon Scully... Pardonne moi...

***************
Trois jours plus tard.
Bureau du docteur Steward - hypnothérapeute.

Mulder était allongé sur le canapé et sombrait lentement sous l’effet des paroles du docteur Steward. Sa voix grave, à peine audible, emplissait la pièce. Scully et Skinner, assis sur des fauteuils, troublés par les révélations de Mulder, essayaient de garder leur calme malgré l’horreur qui les envahissait.

“ILS nous confinent dans des petites pièces aux parois translucides. Nous sommes plusieurs dizaines à être enfermés ainsi. Je dors à même le sol. La lumière est constante, il n’y a jamais de pénombre. Les autres prisonniers sont des extra-terrestres, de différente race. Quand j’en ai la force, je les observe. Leur diversité est à peine croyable. Certains ressemblent à des humanoïdes, d’autres sont vraiment bizarres. Un véritable film de science fiction.

ILS nous emmènent à tour de rôle dans une pièce qui ressemble à un laboratoire. ILS n’utilisent pas la force physique pour nous contraindre à les suivre. ILS s’infiltrent dans notre esprit et nous ôtent toute rébellion. C’est un viol mental. Douloureux. Inéluctable.

Les différents examens me laissent pantelant de douleur. Je hurle, j’essaye de me débattre, mais rien n’y fait. ILS font toute sorte de prélèvement, à vif, sans anesthésie. Je ne suis pas sûr qu’ILS aient conscience de la douleur qu’ILS nous infligent. Ma voix est cassée à force de crier, ma gorge est sèche et douloureuse, mes yeux sont irrités par les larmes que je ne peux m’empécher de verser.

Quand ILS me reconduisent dans ma cellule, je m’écroule, sans force, sur le sol tiède. ILS m’introduisent un tuyau dans la gorge dans lequel se déverse une sorte de nourriture qui me maintient en vie, malgré que je vomisse pratiquement systématiquement après chaque gavage. Je reste des heures allongé dans mes propres sécrétions, incapable de bouger tant mon corps est douloureux. C’est d’ailleurs la douleur qui m’empêche de croire que tout ceci n’est qu’un monstrueux cauchemar. Elle est présente chaque minute, sans répit.

Régulièrement, une eau tiède tombe du plafond. Elle nettoie mon corps des souillures accumulées, et je pense qu’elle contient une sorte de désinfectant qui laisse sur ma peau une odeur désagréable. Mon corps se dégrade lentement, je sens mes côtes saillir, les os de mes bras et de mes jambes sont proéminents. Mes cheveux sont longs et sales et me tombent sur les yeux. J’attends la mort avec avidité. Je souhaite qu’elle vienne me délivrer de ce tourment.”

- Fox ? Vous allez vous réveiller. Lorsque je vais prononcer le chiffre cinq, vous allez ouvrir les yeux.

- Je suis seul... je suis si seul... J’ai peur...

- Un

- Je ne veux pas mourir...

- Deux

- J’ai mal

- Trois

- Scully...

- Quatre. Fox, vous allez vous réveiller.

- Scully...

- Cinq. Ouvrez les yeux, Fox. Vous êtes en sécurité.

Mulder se força à obéir à la voix. Il ouvrit les yeux, désorienté, et sa respiration s’accéléra. Il chercha Scully du regard et se plongea dans ses yeux bleus, troublés par les larmes. Il se mit à trembler de façon incontrôlable.

- Alors ? Est ce que j’ai parlé ?

La jeune femme lui sourit de façon rassurante, essayant de masquer son émotion.

- Oui. On va rentrer à la maison maintenant. Il faut que tu te reposes.

Il se leva, les jambes tremblantes, encore sous le choc de la session d’hyptothérapie. Skinner s’approcha de lui et le soutint par les épaules. Il se laissa faire et ils sortirent de la pièce, tous les trois conscients que la route serait longue.

Trois mois plus tard. Journal de Dana Scully

Mulder est rentré il y a quinze jours du centre de rééducation où il avait fini par accepter de se rendre, conscient qu’il ne pourrait pas se sortir seul de l’abysse dans laquelle il avait plongé depuis son retour. Là bas, aidé par des psychologues et des psychiatres, il a travaillé sur lui même pour accepter l’inconcevable.

Semaine après semaine, j’ai pris connaissance de ses progrès et de ses régressions, priant chaque jour qu’il trouve la force de continuer à avancer. Les épisodes de dépression, souvent précédés d’automutilation sont progressivement devenus moins nombreux, et les médecins ont fini par accepter de le laisser revenir à une vie “normale”.

Nous avons convenu qu’il passerait quelques semaines chez moi. Il n’est pas en état de rester seul, il réapprend tout juste les gestes du quotidien, comme prendre soin de lui même ou même sortir seul dans la rue.

Il a accepté le fait qu’il ne travaillerait jamais plus au F.B.I et pense sérieusement à reprendre ses études pour obtenir un diplôme en psychologie qui lui permettrait de pratiquer. C’est un projet qui lui tient à coeur et je l’encourage dans cette voie.

Quand la souffrance est trop forte, il lui arrive encore de s’auto-mutiler, se tailladant les chairs pour que la souffrance physique prenne le pas sur la souffrance mentale. Il sait que c’est un mécanisme de survie, qui lui permet de reprendre le contrôle de lui même. J’essaye de le persuader de ne pas en arriver là, de m’appeler à toutes heures du jour ou de la nuit pour éviter ces gestes qui m’effraient plus que tout. Nous passons des heures l’un contre l’autre, silencieux, pour chasser les démons qui le hantent.

J’ai confiance en lui. Toute sa vie, il s’est battu, et a survécu. Je sais au fond de moi qu’il trouvera la force de laisser derrière lui le cauchemar qu’il a vécu.



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