Un si long chemin



Fox Mulder détestait les salles d’attente des médecins. Toujours ces journaux périmés depuis des mois qui traînaient sur la table basse, ces gravures de mauvais goût sur les murs au papier peint passé. Il regarda sa montre une fois de plus et soupira. Il avait été convoqué après sa visite médicale semestrielle et la secrétaire n’avait pas voulu lui en dire plus. Il se doutait bien qu’il n’était pas au mieux de sa forme, il ressentait depuis des mois une fatigue inhabituelle, une sorte de mal être qui le perturbait sans pour cela l’empêcher de vivre comme il avait toujours vécu, à cent à l’heure, sans prendre le temps de s’écouter. Scully avait plusieurs fois fait des remarques sur les cernes qu’il portait autour des yeux, mais cela s’était arrêté là. Il détestait lorsque elle le maternait, sauf bien sûr lorsque il était au fond d’un lit d’hôpital ou à l’article de la mort.

Dans ces cas là, son sourire et sa voix se faisaient doux, et il s’accrochait à sa main comme à une bouée de sauvetage.

Les derniers mois avaient été particulièrement riches en évènements et il attribuait son état de fatigue actuel aux divers épreuves qu’il avait du traverser. Il se replongea sans passion dans la lecture du magazine qu’il tenait en main, mais les souvenirs se firent envahissants et il repensa à tout ce qu’il lui était arrivé.

Le souvenir le plus traumatisant était aussi le moins récent. Les jours passés entre les murs de sa cellule psychiatrique lui revenaient en mémoire avec angoisse. Cela avait été une expérience terrifiante. Il se souvint de la douleur qu’il avait ressenti alors qu’il n’arrivait pas à faire taire les voix dans sa tête. Il avait vécu cela avec une affreuse acuité. Le fait de pouvoir lire dans les esprits des autres avait été douloureux et terriblement déconcertant. La seule période où il avait apprécié cette faculté était lorsque il avait lu l’amour que lui portait Scully. Ca n’avait pas été une véritable révélation, il savait qu’elle tenait à lui, mais plutôt une tendre acceptation. Elle l’aimait. Elle ne le quitterait pas, quoi qu’il arrive. Elle voulait passer le reste de sa vie près de lui.

Le réconfort avait été de courte durée. Quelques heures plus tard, il avait vécu la plus effrayante des expériences. Il était conscient lorsque les bouchers lui avaient ouvert le crâne, il avait entendu le bruit de la scie, il avait vu leurs instruments couverts de son propre sang. Plus tard, seul dans cette pièce froide, nu sur cette table métallique, il avait souhaité la mort. Il n’avait jamais ressenti une telle douleur, ni un tel sentiment d’abandon et de peur. Puis elle était là. Les yeux remplis de larmes, elle l’avait supplié de se battre encore un peu, de ne pas abandonner. Il n’avait pas pu lui refuser. Dans un effort surhumain, il avait concentré le peu d’énergie qui restait en lui pour la suivre, et peu lui importait où elle l’emmenait. Il savait qu’avec elle il serait en sécurité.

Les jours qui avaient suivis avaient été difficiles. Il se retrouvait diminué, incapable de se tenir debout sans aide, incapable de parler sans écorcher certains syllabes ou mots. La souffrance était contenue par des drogues qui l’affaiblissaient. Il avait détesté chaque jour de son séjour dans l’hôpital où Scully l’avait conduit. Puis peu à peu, il avait repris le contrôle de son corps et de son esprit.

Il passa la main dans ses cheveux et effleura la cicatrice à la base de son crâne. C’était devenu un réflexe, un geste récurrent qu’il faisait lorsque il se sentait mal.

Il se revit dans son appartement, brisé par les larmes et la colère. La perte de sa mère, les circonstances de sa mort avaient été terribles. Il s’était senti tellement frustré de ne pas avoir recueilli ses derniers mots, ses confidences. Il était persuadé qu’elle voulait lui parler de Samantha. Et ce soir là, Scully avait été la seule à le persuader qu’il avait encore une raison de vivre.

Puis il y avait eu la découverte de la mort de Samantha. Au fond de lui même, il s’était senti soudain très vide, avant que finalement une sorte de soulagement le libère. Il s’était senti libre, plus libre qu’il n’avait jamais été. Sa quête était terminée, il allait enfin pouvoir vivre sa vie comme il l’entendait, bien qu’il n’ait aucune idée de ce que pouvait être la vie sans cette recherche éperdue. Une vie avec Scully, une vie normale, vivre tous les deux, comme tant d’autres couples. Il n’avait pas eu le courage de lui proposer cette alternative.

Il regarda sa montre une fois de plus et se leva, impatient et contrarié de perdre son temps dans cette salle d’attente désuète.

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Le docteur Susan Lewis relut encore une fois le dossier du patient qu’elle allait recevoir dans quelques minutes. A l’intérieur de ces quelques dizaines de pages, une vie était résumée.
Elle connaissait Fox Mulder depuis des années, depuis qu’elle était devenue titulaire du poste de médecin du travail dans le cadre du FBI. Ils étaient rentrés presque au même moment dans la prestigieuse institution. Elle se souvenait de leur première rencontre, alors qu’il n’était qu’un jeune agent fraîchement émoulu de Quantico, débarquant avec la réputation d’être un brillant esprit, légèrement azimuté. Elle se souvenait de lui, de ses remarques sarcastiques, de son sourire ravageur, mais aussi de la tristesse qu’elle avait lu dans ses yeux noisettes aux reflets verts. Elle l’avait revu deux ans plus tard, brisé par le trop plein de stress, par le fait d’écrire des profils de serial killer qui lui apportaient une détresse émotionnelle qui avait fini par le vaincre. Elle le revoyait, presque fragile, au bord des larmes, submergé par l’émotion. Elle lui avait conseillé de quitter la section des Crimes Violents pour préserver sa santé mentale.

Il avait alors trouvé les affaires non classées. Et Susan n’avait cessé de le voir, à chaque reprise du travail après les différents accidents et blessures qu’il avait subi durant ces sept dernières années. A croire qu’il attirait les ennuis. Son dossier médical était plus étoffé que celui de n’importe quel agent du Bureau. Elle se souvint de lui alors qu’il venait de subir les assauts d’un rétrovirus inconnu. Dix kilos de moins, pale comme un linge, il venait quémander une reprise anticipée afin de reprendre le travail. Elle l’avait renvoyé chez lui, fait interdire l’entrée du bureau par les employés chargés de la sécurité et convoquer sa partenaire afin de lui faire entendre raison. Trois semaines plus tard, il était revenu dans son bureau, à peine plus épais mais son visage avait repris les couleurs de la vie. C’est à cette époque qu’elle lui avait proposé de sortir avec elle.

Dans le restaurant qu’elle avait choisi avec soin, elle avait découvert un autre Fox Mulder. Un homme charmant et courtois, possédant un sens de l’humour incroyable. Mais également une personnalité complexe et portant le poids presque insoutenable d’une culpabilité qui lui collait à la peau. L’un comme l’autre s’était vite rendu compte qu’une éventuelle relation ne les mènerait nulle part. Ils s’étaient quittés amicalement, et elle n’avait jamais renouvelé l’expérience. Ils étaient simplement restés bons camarades.

Le motif de leur rencontre d’aujourd’hui n’avait rien de réjouissant. Il avait passé sa visite semestrielle quelques jours auparavant, et elle avait noté son amaigrissement, les douleurs articulaires dont il semblait souffrir, la pâleur de sa peau. Elle avait demandé une prise de sang dont les résultats lui étaient revenus la veille. Malgré son détachement professionnel, les résultats l’avaient profondément affectés et elle avait presque eu envie de faire parvenir le dossier à un de ses collègues. Mais elle se sentait le devoir d’annoncer à son patient, à cet homme qu’elle connaissait bien, que sa vie allait basculer.

Elle respira profondément et ouvrit la porte qui donnait sur la salle d’attente. Debout devant la fenêtre, les yeux perdus vers le ciel désespérément gris, il se retourna à l’énoncé de son nom et lui sourit instantanément. Elle lui rendit son sourire et le pria d’entrer dans son cabinet.

Son langage corporel traduisait son inquiétude. Il hésita à s’asseoir sur le fauteuil qu’elle lui proposa, puis finit par s’installer, sans la quitter des yeux.

- Alors Susan, que vas-tu m’annoncer ? Que je dois porter des lunettes en permanence ou que mon taux de cholestérol est trop élevé et que je dois arrêter de manger des hamburgers et des frites ?

Il avait prononcé cela avec détachement et en souriant, mais au fond de lui même, il savait que c’était autre chose.

- Fox... J’aurais préféré que ce soit cela... Mais tes analyses de sang sont revenues anormales.

Elle le vit soudain se crisper et déglutir avec effort.

Elle continua en le fixant dans les yeux.

- Tu présentes une forte anémie, ton taux de plaquettes est très bas et tu as un fort taux de leucocytes.

- Qu’est ce que ça veut dire ? C’est grave ?

- Je crains que ce ne soit une leucémie, Fox. Je suis désolée.

Son regard se troubla un instant et sa respiration se fit rapide.

- Une leucémie ? Mais ce n’est pas possible... Je ne suis pas malade...

- Tu as avoué toi même que tu te sentais fatigué et que tu avais maigri. Tu as mis ça sur le compte du stress, mais malheureusement c’est plus grave que cela.

- Ce n’est pas possible...

Il secouait la tête, incapable d’accepter la redoutable sentence. Il combattit les larmes qui montaient à ses yeux et se leva subitement.

- Il faut refaire des examens... Il y a sans doute une erreur.

- Fox, je te demande de te rendre rapidement à l’hôpital. D’autres examens seront pratiqués, d’autres prises de sang et une biopsie de ta moelle osseuse. Je t’ai inscrit le nom d’un professeur à l’hôpital de Georgetown. C’est un hématologue très réputé. Tu seras entre de bonnes mains.

Elle lui tendit la carte qu’elle avait préparé à son intention.

- Tu dois prendre contact avec lui le plus rapidement possible. C’est une maladie aiguë. Il faut te faire traiter rapidement.

Il accepta le papier qu’elle lui tendait et détourna son regard pour éviter qu’elle ne voit les larmes dans ses yeux.

- Fox ?

Il se tourna vers elle, les mâchoires serrées.

- Je suis désolée.

Il hocha la tête et sortit rapidement de la pièce.

***********************

Mulder ne put éviter un gémissement lorsque il essaya de se tourner vers la table de chevet pour attraper le verre d’eau qui était posé dessus. Il avait subi la biopsie de moelle osseuse quelques heures auparavant et malgré les antalgiques il souffrait le martyr. L’acte lui même avait été terriblement éprouvant, sans parler de l’angoisse qui l’avait submergée en voyant l’énorme trocart que le médecin avait en mains.

Il se laissa retomber sur l’oreiller, essuyant la sueur qui coulait de son front moite. Il regrettait maintenant de ne rien avoir dit à Scully. Elle aurait été là, près de lui, elle l’aurait réconforté avec des paroles apaisantes, comme elle le faisait toujours dans ces moments de détresse. Mais il avait choisi de ne rien lui révéler, pas avant d’être sûr du diagnostic. Il avait lui même du mal à accepter le fait, malgré la nouvelle prise de sang qui avait montrée les mêmes anomalies biologiques.

Il ne pouvait pas y croire.

La sonnerie de son portable le fit sursauter. Il grimaça une nouvelle fois pour l’atteindre et le porta à son oreille.

- Mulder c’est moi. Où es tu ? Je suis passée à ton appartement et tu n’y étais pas. Skinner m’a dit que tu avais demandé deux jours de congé. Tout va bien ?

- Ca va Scully... J’avais quelque chose d’important à faire, c’est tout.

- Mulder où es-tu ?

- Je... Il hésita une seconde, il s’était promis de ne pas lui dire... Pas tout de suite.

- Mulder ?

- Je suis à l’hôpital, Scully. Il laissa échapper un soupir. A Georgetown, chambre 1013.

- Tu es blessé ?

- Non, je t’expliquerai.

- J’arrive, Mulder.

La communication se coupa instantanément. Il ferma les yeux, et prit quelques inspirations profondes. Ses yeux s’embuèrent et il réprouva avec fureur son émotivité. Merde, il fallait qu’il soit fort. Il se devait d’être fort pour elle.

Elle arriva quelques dizaines de minutes plus tard, le visage un peu rouge d’avoir couru dans les couloirs de l’hôpital. Elle ouvrit la porte et sourit en le voyant. Elle avait craint le pire durant son court trajet et il était là, devant elle, respirant de santé. En s’approchant du lit, elle découvrit avec inquiétude les cernes qui marquaient son visage.

- Mulder ? Tu peux m’expliquer ? Qu’est ce que tu fais là ? Est ce que tu vas bien ?

- Oui... Enfin presque. Mon dossier est juste là. Il lui montra d’un geste las le panier accroché au mur de sa chambre. Tu peux y jeter un coup d’oeil.

Le visage de la jeune femme perdit toutes ses couleurs à mesure qu’elle découvrait le contenu du dossier médical. Lorsqu’elle se tourna à nouveau vers lui, ses lèvres tremblaient d’une émotion contenue.

- Quand auras tu les résultats de la biopsie ?

- Dans une heure ou deux je pense. Ils ont promis de faire vite.

- Pourquoi ne m’as tu rien dit ?

Il baissa la tête, un peu honteux de lui avoir menti.

- Je ne voulais pas te causer de soucis. Excuse moi.

- Tu n’as pas à t’excuser, Mulder. J’ai eu aussi cette réaction lorsqu’on a découvert cette tumeur en moi... Exactement la même réaction. J’ai voulu te protéger. Mais dans ces moments là on a besoin de quelqu’un à qui parler, Mulder. Et je suis là.

Leurs regards s’accrochèrent et ils lurent dans leurs yeux réciproques une infinie tendresse.

La voix de Mulder n’était qu’un murmure.

- J’ai si peur, Scully.

- Je sais, Mulder. Je sais.

*****************

Les résultats tardèrent à arriver. La douleur était devenue si intense que Mulder avait réclamé une dose plus importante d’antalgiques, qui l’avait fait s’assoupir en un instant. Scully réprima l’envie de caresser ses cheveux alors qu’il dormait, paisible, la bouche légèrement entreouverte. Il paraissait si vulnérable ainsi, simplement vêtu de cette blouse d’hôpital blanche et bleue, ses cheveux partant dans tous les sens, le visage un peu trop pale. Elle réprima un frisson. Elle savait que les résultats ne pouvaient pas mentir.

Un médecin en blouse blanche entra avec un dossier à la main. Il sourit à la jeune femme et lui tendit la main en se présentant.

- Je suis le docteur Sullivan. Mme Mulder je suppose ?

- Non... Je m’appelle Dana Scully, je travaille pour le FBI avec Mulder. Nous sommes très proches. Et je suis médecin moi même. Vous avez les résultats du prélèvement ?

- Oui.

Le visage du médecin s’assombrit.

- Les nouvelles ne sont pas bonnes. Votre ami est atteint de leucémie myéloblastique aiguë. Son état est préoccupant. Il est étonnant qu’il n’est pas ressenti de symptomes plus tôt. Son taux de myéloblastes immatures est très important. Nous devons le traîter au plus vite si nous voulons espérer obtenir une rémission. Je vais lui parler.

- C’est inutile, j’ai entendu.

Scully et Sullivan se tournèrent vers Mulder qui avait ouvert les yeux. Son visage était crispé et il chercha à éviter le regard de Scully.
- Quel est le traitement ?

- Chimiothérapie intensive. Le plus tôt sera le mieux.

- Est ce que j’ai une chance de m’en sortir ?

Sullivan s’aprocha du lit et plongea son regard dans les yeux sombres de son patient. Il avait à peu près son âge, et il ressentait cela comme une véritable injustice.

- Je ne vais pas vous mentir, M. Mulder...

- Je vous en prie, appelez moi Mulder. J’ai l’impression que vous vous adressez à mon père.

Sullivan réprima un sourire.

- Votre condition est aiguë. La LMA, votre leucémie, est à évolution extrêmement rapide. Il semble que vous portiez cela depuis plusieurs mois. Nous allons jouer contre la montre, je ne vous le cache pas. Le pronostic est assez sombre, Mulder.

Le patient dégluttit avec effort. Une boule s’était formée dans sa gorge serrée.

- Merci , docteur Sullivan. J’apprécie votre honnêteté.

- Vous serez pris en charge dès demain matin et vous recevrez votre première cure. Je vais préparer votre admission. Il lui serra la main avec chaleur et sortit de la chambre. L’air était soudainement devenu presque irrespirable tant la tension était forte. Scully essuya rapidement les larmes qui roulaient sur ses joues et se tourna vers Mulder. Il ne disait rien, ses yeux étaient tournés vers la fenêtre. Elle lui prit la main doucement et la serra très fort. Il ferma les paupières et répondit à son geste en serrant la sienne plus fort encore.

************************

Mulder se laissa lourdement tomber sur son vieux canapé de cuir. C’était son troisième voyage à la salle de bains depuis une heure. Il n’avait cessé de vomir depuis qu’il était rentré de l’hôpital quelques heures plus tôt, où il avait subi sa première cure de chimiothérapie. Les infirmières l’avaient prévenu sur les risques de nausées mais jamais il n’aurait pu imaginer l’enfer qu’il vivait actuellement. Il s’allongea en chien de fusil pour tenter de calmer les crampes de son estomac douloureux. Son oesophage et sa gorge le brûlaient, sa tête menaçait d’exploser sous la douleur. Il se sentait misérable.

Scully était parti chercher de quoi le calmer à la pharmacie la plus proche. Elle savait ce qu’il ressentait, pour être passer par là elle aussi. Il se demanda s’il aurait sa force pour affronter la maladie qui le terrassait, puis s’assoupit, une main posée sur son abdomen douloureux.

Scully pressa le pas en revenant de la pharmacie. Elle savait que les heures à venir seraient difficiles pour lui. Il semblait régir violemment au traitement agressif que Sullivan avait proposé. Elle savait également que c’était le seul moyen de contrer la prolifération des myéloblastes malins.

Elle s’était insurgée contre le fait qu’on le fasse sortir de l’hôpital si tôt. Maudites soient les économies sur les dépenses de santé ! Mais le traitement ambulatoire semblait la règle dans ce genre d’affection. Mulder rentrerait chez lui après ses cures de chimio, et ceci même s’il vomissait ses tripes pendant des heures et des heures.

Elle l’entendit vomir dans les toilettes en ouvrant la porte de son appartement. Elle posa rapidement le sac de médicaments sur la table basse du salon et se précipita dans la salle de bains pour le soutenir.

Il était blanc comme un linge. Son visage était couvert d’une fine pellicule de sueur et des mèches de cheveux sombres étaient collées sur son front humide. Elle lui tendit un gant de toilette humide qu’il accepta avec gratitude. Il s’était laissé tombé sur le carrelage blanc et paraissait prétendre y rester, tant il semblait à bout de forces. Il lui adressa un sourire d’auto dépréciation qui lui fendit le coeur. Elle lui tendit ses deux mains, l’aida à se redresser puis le conduisit avec douceur vers sa chambre. Il ne protesta pas lorsque elle l’aida à se dévêtir, et il se retrouva bientôt en boxer sous les draps frais. Il frissonna et ses dents s’entrechoquèrent.

- Merci, Scully.

- Je suis là, Mulder. On va surmonter ça ensemble, comme on l’a toujours fait. Prends ça.

Elle lui tendit un comprimé qu’il avala avec un peu d’eau, espérant que le traitement fasse effet rapidement. Il se sentait si faible que ses yeux se fermèrent instantanément dès que sa tête atteignit l’oreiller.

- Dors. Je veille sur toi.

********************

Mulder se souvenait pratiquement avec nostalgie de cette période. Il était alors encore libre de ses mouvements, il pouvait travailler entre les cures de chimiothérapie, en dépit de son épuisement grandissant et des effets secondaires pervers du traitement. Il ne souffrait pas. C’était seulement il y a trois mois. Aujourd’hui il était cantonné dans cette chambre d’hôpital égayée par les cartes colorées de “Bon rétablissement” qui lui venaient de ses quelques amis et du bureau. Un message d’amitié lui avait même adressé par le Directeur Général en personne.

Aujourd’hui il ne pouvait pas faire deux pas seul sans s’effondrer. Ses défenses immunitaires étaient si basses que l’air de sa chambre était constamment filtrée pour éviter les contaminations bactériennes.

Aujourd’hui il souffrait. Il avait réévalué considérablement son échelle personnelle de la souffrance. Il avait institué un code avec les infirmières, parlant de la souffrance qu’il ressentait en termes amusants, évoquant des micro-travailleurs armés soit d’agrafeuses, soit de perceuses, soit de véritables marteaux piqueurs dans les cas où il souffrait le plus. Dans ces moments là, seule une bonne dose de morphine l’empéchait de demander une euthanasie rapide.

Les infirmières étaient sympathiques. Il fleurtait gentiment avec elle et en retour elles lui autorisaient toute sorte de menus plaisirs, comme le fait de porter ses propres affaires, tee shirt et jogging, ou celui de manger les plats préparés par Maggie Scully plutôt que la nourriture fade proposée par la restauration de l’hôpital. Il avait appris à vaincre sa pudeur et se laissait aider pour la toilette sans désormais rougir ou mourir de honte. Il appréciait qu’elles le traitent comme un être humain et non comme un numéro.

Il avait enfin accepté qu’il était mourant. La chimiothérapie n’avait donné aucun résultat, aucun espoir de rémission. Son état s’était lentement dégradé, l’effondrement de ses défenses immunitaires l’avait conduit à subir l’assaut répété de microbes qui l’avaient laissé plus d’une fois au bord de la mort. Il s’était battu, avec détermination, pensant que son heure n’était pas venue. Puis quelques jours plus tôt, alors qu’il subissait la énième transfusion sanguine, allongé sur ce lit blanc, dans cette chambre silencieuse, il avait réalisé que la fin était proche. Cela avait été pour lui une révélation choquante puis il avait lentement accepté cette vérité ineluctable. Et alors qu’il en discutait quelques heures plus tard avec Scully, il avait réalisé qu’il était soulagé.

- Je t’assure, Scully, c’est plus facile si tu l’acceptes, si tu arrêtes de combattre le destin. Je ne dis pas que je ne lutterais pas jusqu’au bout, tu me connais. Mais c’est un fait. Je suis mourant. Et même si j’ai peur, je sais que ce jour sera une délivrance. Les larmes de la jeune femme roulaient sur ses joues et il passa la main sur son visage tendrement.

- Accepte le toi aussi, Scully. Ce sera plus simple pour nous deux.

- Non, Mulder. Tu es un survivant. Tu as vaincu tant de fois la mort... Ton heure n’est pas venue...

- Je t’en prie Scully... Il est trop tard.

- Non, on peut encore trouver un donneur pour une greffe de moelle osseuse.

- Scully, tu sais parfaitement que seule une greffe allogénique serait le moyen de vaincre la leucémie... Et je n’ai plus aucune famille.

La jeune femme lui sourit faiblement. Il avait parfaitement raison. L’espoir de trouver un donneur parfaitement compatible était pratiquement vain. Tous leurs amis avaient été testés, même son frère Bill avait accepté le douloureux prélèvement. Un appel avait été lancé dans l’enceinte du FBI. Et malgré les nombreuses réponses, Mulder était toujours en attente d’une greffe. Et chaque jour qui passait amenuisait ses forces déclinantes.

********************

Maggie Scully revêtit une fois encore le masque et la blouse qui étaient sensés limiter la contamination bactérienne dans la chambre de Mulder. Elle entra doucement dans la chambre plongée dans la pénombre du crépuscule. Le bourdonnement des appareils disposés autour du lit était presque rassurant dans ce silence pesant. Seule la petite lumière au dessus du lit diffusait une lumière douce sur le visage de Fox. Il paraissait paisible, les paupières cernées de grands cernes gris qui contrastaient avec la paleur de sa peau presque translucide. Elle caressa affectueusement ses cheveux et lui murmurant quelques paroles à l’oreille, en ne cessant de caresser son visage. Aussi loin soit-il, elle savait qu’il pouvait l’entendre. Et en l’absence de Scully, elle se devait de lui faire comprendre qu’il n’était pas seul.

Son état s’était brusquement aggravé quelques jours plus tôt. Ses fonctions rénale et cérébrale avaient été affectées par des caillots sanguins qui s’étaient formés, provoquant des troubles fonctionnels qui l’avaient plongé dans le coma. Une dialyse avait été mise en place très rapidement, mais il n’avait montré aucun signe de rétablissement.

Maggie soupira profondément en caressant doucement sa main, prenant garde de ne pas effleurer le tube de la perfusion . Elle considérait Fox comme son propre fils et son état l’affectait terriblement. Elle souffrait de le voir ainsi, si faible, si vulnérable.

Dana l’aimait. Elle aimait ce garçon attachant et complexe, pétri d’intelligence et de sensibilité. Elle l’aimait de tout son être, de tout son coeur. Et c’est seulement depuis quelques semaines qu’elle avait enfin réussi à lui avouer son amour. Il savait cela depuis longtemps, mais le fait l’avoir entendu lui avait donné un nouveau désir de lutter. Ses yeux avaient retrouvé la lueur de la vie avant que la maladie ne le terasse de nouveau.

Le sort avait voulu que le donneur tant espéré se manifeste quelques heures seulement après que Fox ne soit plongé dans le coma. La greffe était actuellement inenvisageable, mais le docteur Sullivan avait certifié que ce donneur anonyme était parfaitement compatible avec Mulder, ce qui semblait parfaitement impossible compte tenu du fait que Mulder n’avait plus aucune famille. Dana avait alors supplié Sullivan de lui donner les coordonnées de cette personne. Et elle était partie à sa rencontre, suspectant au fond d’elle même qu’elle allait découvrir quelque chose d’incroyable.

*****************

Scully vérifia une nouvelle fois les coordonnées que Sullivan lui avait donné ce matin. Elle hésita un moment, puis sonna à la porte. Sa respiration se fit rapide lorsque elle vit le visage de la jeune femme brune qui se trouvait devant elle, l’air un peu étonné devant cette visite tardive.

- Je peux faire quelque chose pour vous ?

Dana ne répondit pas immédiatement, fascinée par la ressemblance prodigieuge de la jeune femme avec l’homme qu’elle aimait. Elle était mince, très fine, presque aussi grande que lui. Les traits de son visage étaient identiques mais adoucis, empreints de féminité et de délicatesse. Ses lèvres étaient pleines et sensuelles, ses cheveux coupés courts dansaient autour de son visage d’elfe, ses yeux étaient chatoyants, aux reflets intenses d’or et de mille couleurs. Elle portait un simple tee-shirt et un jeans, ses pieds étaient nus.

- Je peux vous aider ?

Scully se reprit et se présenta. La jeune femme la fit entrer après avoir vérifier son badge professionnel.

- Vous êtes inscrite sur le fichier des donneurs de moelle osseuse, Mlle Larson. Et je suis très proche d’un patient qui semble parfaitement compatible avec vous. Si proche qu’il semblerait que vous soyez apparentés.

- Je ne me connais aucune famille, Mlle Scully. J’ai été adopté à 9 ans, après un accident qui a tué ma famille et qui m’a laissé totalement amnésique. Je ne peux pas vous répondre.

- Vous n’avez aucun souvenir de votre petite enfance ?

Les yeux de la jeune femme se perdirent dans le vague et une onde de tristesse les traversa soudain.

- Non... Je n’ai que cette photo.

La jeune femme se leva gracieusement et sortit d’un tiroir une photo usée et jaunie, précieusement conservée dans une pochette de plastique transparente.

Scully ne put réprimer un cri de surprise lorsque elle découvrit le visage de Mulder, alors qu’il n’avait sans doute pas plus de onze ans et celui d’une petite fille blonde aux cheveux noués.

- C’est la seule chose qu’il me reste de mon enfance.

Scully s’enfonça plus profondément dans le confortable fauteuil et ses paupières se fermèrent. Elle ne pouvait pas le croire... On leur avait menti, une fois encore.

En ouvrant les yeux, elle découvrit sur le canapé, non loin d’elle, une vieille peluche usée par les années. Une peluche qui représentait un renard...

********************

- Mulder... Je t’en prie, il faut que tu te battes... Je sais que tu es fatigué, que tu as envie de te laisser aller... Je vais te donner une raison de revenir parmi nous. Je t’aime. Mais ça tu le sais déjà... Mais c’est bon de te le dire encore et encore.

Scully caressa son visage, évitant avec soin le respirateur qui avait été posé quelques heures plus tôt, pour soulager sa détresse respiratoire. Ses propres larmes tombaient sur ses joues creuses, et elle les essuyait consciencieusement.

- J’ai retrouvé Samantha, Fox... Elle est vivante, elle est magnifique. Elle te ressemble tellement. Il faut que tu la voie, Mulder, il faut que tu la chérisse, elle a besoin de toi.
Elle peut te guérir. Si tu reviens parmi nous, Mulder, elle peut te sauver. Trouve la force de te battre. Je t’en prie, Mulder, ne me laisse pas...

******************

Elle attendait dans le petit salon donnant sur le couloir qui menait à la chambre de Mulder. Epuisée par les longues heures d’attente, angoissée par la mort qui rodait, Maggie Scully effleurait les cheveux soyeux de la jeune femme qui reposait sur ses genoux où elle s’était assoupie quelques minutes auparavant. L’émotion se lisait encore sur son visage gracieux. Elle avait compris en voyant le visage de Fox, en croisant la photo qui était posée sur sa table de chevet, qu’elle avait enfin trouvé le frère dont elle avait tant rêvé et qu’elle risquait de le perdre aussitôt, sans même l’avoir connu.

Elle avait caressé tendrement les lignes de son visage, embrassé son front large et lui avait murmuré des paroles que seul Fox pouvait entendre, si tout de fois il en était encore capable. Elle était restée longtemps, sa main fine dans celle de son frère, fière et digne malgré tout, alors que Scully lui relatait la recherche désespérée de Mulder, les évènements qui avaient conduits à croire à sa mort. Elle lui avait décrit Fox avec émotion et tendresse, lui avait offert des souvenirs qu’elle ne partageait pas. Elles avaient pleuré, elles s’étaient enlacées, puis elles avaient prié, unies par le même espoir.

*********************

Il ne souffrait plus. Il était au delà de sa condition humaine, loin de la douleur, envahi par un halo de douceur qui l’enveloppait, le caressait. Il se laissait porter vers la lumière qui l’aspirait, merveilleusement attirante. Jamais il n’avait connu un tel sentiment de bien être. Des êtres de lumière l’entouraient, le protégeaient puis progressivement le repoussèrent de façon douce, loin de la lumière. Son être protesta mais il ne pouvait pas les combattre, seulement accepter leur décision. En quelques secondes, il reprit conscience de son corps maltraité, prisonnier des machines. Il essaya de tousser pour évacuer le tuyau dans sa gorge, puis une main fraiche se posa sur son front trempé de sueur. Ses paupières étaient si lourdes qu’il lui était impossible d’ouvrir les yeux. Mais une voix douce le supplia de le faire. Et il savait qu’il ne pouvait pas résister à cette voix. La lumière agressa ses pupilles et il essaya de se focaliser sur le visage tendre qui lui souriait, pour sombrer presque immédiatement dans une torpeur bienfaisante.

*********************

Les jours suivants ne furent qu’une succession d’éveil et de léthargie. Il avait à peine conscience de la chimiothérapie qui coulait à nouveau dans ses veines, pas plus qu’il n’avait conscience qu’on lui injectait enfin la substance vivante qui pouvait lui sauver la vie. Malgré son état précaire, le docteur Sullivan avait décidé de tenter le traitement de la dernière chance, avec l’accord de Scully.

Scully découvrit Samantha au cours des longues semaines suivant la greffe. Elle apprécia son intelligence et sa douceur, la façon attentive qu’elle avait d’être avec les gens, sa vivacité d’esprit, tellement semblable à celle de son frère.

L’état de Fox s’améliora progressivement, jour après jour. Son corps avait subi d’importants traumatismes qui mettraient des mois à s’estomper. Son état d’agent fédéral serait sans doute remis en cause, mais rien ne lui importait plus maintenant que les deux êtres auxquels il tenait plus que tout au monde.

Il avait découvert Samantha près de lui quelques jours après son réveil, après avoir reçu la greffe salvatrice. Il avait su que c’était elle avant même qu’elle prononce une parole, avant même que Scully lui explique. Elle était la même et pourtant différente, une fleur éclose, magnifique et parfaite. Elle était son Graal, ce pour quoi il avait toujours lutté. Epuisé par la maladie, il restait des heures plongé dans son regard et dans son sourire, sans pouvoir communiquer avec elle autrement que par les yeux.

Elle lui raconta tout, ses peurs et ses joies, son adolescence choyée, l’amour de ses parents adoptifs. Elle lui offrit ses souvenirs comme des présents, comme pour combler le vide de leur si longue séparation.

Longtemps après qu’elle soit partie, il resta là, un sourire aux lèvres, béat de bonheur.
Le destin lui avait offert l’épreuve de sa maladie, mais également la plus belle des récompenses.

FIN



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